Préface du livre « L’érotisme sacré » par Thierry Taittinger - mars 2011
Alex Varenne ou le féminin sacré
Varenne c'est d'abord un trait reconnaissable entre tous : une superbe, « ligne claire » qui aurait fait rougir Hergé, présumé père de la susdite. Comme la plupart des lecteurs de ma génération j'ai découvert l'art de Varenne à travers ses récits érotiques qui tranchaient déjà sur la production ambiante. Les années soixante-dix avaient libéré les « bulles » du carcan de la censure et, parfois, du mauvais goût. On copulait à tout va dans les bandes dessinées d'alors, qui pour la première fois méritaient pleinement leur appellation. A de très rares exceptions près, les auteurs n'étaient pas tel1ement plus âgés que leurs lecteurs. Leur vision de la sexualité, assez primaire, s'en ressentait. Et puis vint Varenne.
D'emblée je sentis un trouble d'un autre ordre. On n'était plus dans la provocation gratuite, la galéjade, la polissonnerie potache. Varenne était grave sur un sujet léger. Il y avait du moraliste chez cet amateur de (très) beaux culs.

Beaucoup plus tard j'ai rencontré l’homme : un artisan pétri d'humilité, presque un ascète, un ouvrier du beau. Dans une autre vie, et en d'autres temps, je l'aurais imaginé en moine soldat, croisé classé X d'un drôle de Graal. Il y a du mystique chez ce sans Dieu autoproclamé toujours prêt à ériger un autel à son immarcescible obsession : la femme. La déesse mère des temps anciens. L'origine de son monde. Déjà à l'époque où il n’était « que » dessinateur de BD, ses héros étaient surtout des héroïnes : femmes fatales, sulfureuses nymphettes, fantasques, matrones. Les hommes - ces faire-valoir, ces prétextes - s'effaçaient au fur et à mesure de l'évolution graphique de l'artiste vers plus de courbes, de formes affolantes, d'opulences nacrées. La peinture, qu'il avait abordée dans ses années de formation (dire qu'il avait même été tenté par l'abstraction, quel gâchis !) ne pouvait que redevenir son mode d'expression. A l'âge des premiers renoncements, ou d'une forme d’apaisement, Varenne s'est donc réinventé en peintre - de la couleur cette foi, franche, pop, élémentaire - (une gageure pour ce maître du noir et blanc) et de la femme - toujours. Déjà, il évoluait vers une quête d'absolu à travers des représentations de plus en plus symboliques et épurées de son thème de prédilection.
Il lui restait à accomplir une ultime métamorphose : l'hommage aux maîtres du passé, cet exercice de style auquel les plus grands se sont livrés au cours de l'histoire de l’art, une confrontation qui aurait pu être aussi vaine que dérisoire lorsque les références s'appellent Botticelli, Vinci, Caravage ou même Ingres, Klimt ou Warhol.
En se surpassant lui-même, Varenne réussit à nous procurer cette émotion intense que l'on éprouve devant ces icônes féminines, transformant au passage les pécheresses en saintes et les madones en créatures du Diable.
Et on se dit qu'il se serait fort bien accommodé d'un monde régi exclusivement par les femmes. A condition d'en être l'unique et dernier représentant mâle.
Thierry Taittinger
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